L’ENTRETIEN DE CRISE

L’ENTRETIEN DE CRISE

La crise se définit comme l’état d’un système, d’une relation au moment où un changement inéluctable doit se produire au sein d’une famille, d’un couple ou pour un individu. Nous nous intéresserons ici à la situation de crise due à des facteurs :

- exogènes, la nécessité de changement, d’adaptation trouvant sa source dans une décision externe à l’individu, à la famille, au couple.

- ou endogènes : demande d’aide par exemple.

Les intervenants sociaux sont souvent confrontés à des personnes qui font l’objet de décisions administratives, judiciaires, sociales, médicales. Au-delà des « mandats » formels (décision administrative ou judiciaire), de nombreuses interventions peuvent être à l’origine d’une situation de crise :

  • - proposition de thérapie ;
  • - hospitalisation ;troduction d’une technique particulière en cours d’accompagnement éducatif ;
  • - traitement médical lourd ;
  • - séparation ;
  • - préparation du placement des enfants ;
  • - accident de la vie ;
  • - perte d’emploi ;
  • - demande d’aide (financière ou de soutien) ;
  • - insistante pressante d’un parent ou ami pour qu’une personne demande l’aide.

L’intervenant social, souvent, n’est pas celui qui a pris ou provoqué la décision mais il est confronté à la situation de crise générée par la décision. Nous dirons qu’il est « porteur de la mauvaise nouvelle » même si elle a été annoncée avant dans un autre cadre. Dans des cas de demande d’aide « spontanée », la démarche peut être ressentie par le demandeur comme dégradante et se traduire par des attitudes inadéquates, provocantes, agressives, dévalorisantes vis-à-vis du travailleur social.

Cette technique s’adresse à ceux qui, dans un cadre professionnel, doivent :

- annoncer une mauvaise nouvelle, (suppression d’une prestation, information sur l’intention de signalement, nécessité ou obligation de voir un médecin généraliste, un psychiatre ou un psychologue, obligation de faire une démarche de recherche d’emploi, mise sous tutelle, etc…) ;

- intervenir auprès de personnes pour qui une décision est prise par une autorité ;

- recevoir des personnes dans un contexte d’aide ;

- indiquer des changements dans le mode de prise en charge ;

- introduire une technique particulière dans un processus de prise en charge, souvent ressentie par l’intervenant comme valorisante mais créant dans la famille crainte et méfiance à l’origine de mécanismes défensifs ;

Il est souvent difficile de savoir comment sera reçue l’annonce que l’on va faire et sur quelle partie de l’annonce la personne va se focaliser. Cela dépend de ses expériences antérieures, de son environnement, de ses a priori, de sa culture. Tout changement provoque chez une personne ou une famille des émotions qui, dans le contexte professionnel, doivent être travaillées pour une meilleure efficacité.

Le receveur a souvent tendance à penser qu’il y a une échappatoire, que l’information reçue est exagérée ou que les contraintes imposées sont contournables. Il peut retourner son agressivité contre celui qui amène cette mauvaise nouvelle.

  1. LA MAUVAISE NOUVELLE :

Le travailleur social l’annonce :

L’information doit être rapide, précise et montrer le caractère incontournable de la mauvaise nouvelle. Les digressions avant cette annonce que l’on nomme communément « préparer le terrain » peuvent augmenter l’angoisse du récepteur ; celle-ci monte parfois à un tel niveau que la mauvaise nouvelle devient un soulagement ce qui amène sa disqualification et la démobilisation de la personne compromettant ainsi les phases deux et trois du travail.

La personne a fait l’objet d’une décision administrative, judiciaire ou sociale :

L’intervenant social doit explorer avec la personne le contenu de la décision, explorer ce que la personne en a compris.

Ce travail doit être mené avec rigueur, les items peuvent être de l’ordre :

  • « Pour vous, qu’est-ce qui a provoqué cette décision ? » Eviter la question « pourquoi » ;

  • « comment m’est venue l’idée de vous faire cette proposition ? » ;

  • « que pensez-vous que je ou il (la personne qui a pris la décision) attende de cette proposition ?» ;

  • « vous êtes surpris par cette décision, par ma proposition ? »

  • « vous pensez qu’une autre proposition ou décision aurait pu être prise, laquelle ? »

Dans cette phase, les réactions peuvent être très fortes, parfois violentes. Nous devons laisser s’exprimer ces sentiments même s’ils nous paraissent outranciers. L’agressivité générée par la mauvaise nouvelle peut se retourner contre l’intervenant. Ces moments de colère sont accompagnés tout en se protégeant. Il est inutile, voire inadapté, dangereux de vouloir « calmer » les personnes. Une écoute empathique est adaptée, même si les propos paraissent déraisonnables. L’extériorisation de ces sentiments est nécessaire. Tout blocage (sauf, naturellement, danger réel pour l’intervenant) de notre part compromettra la suite de l’entretien.

La mauvaise nouvelle est crée par la situation, le contexte :

Rémy a été longtemps un cadre respecté. Des aléas de la vie l’ont amené à venir solliciter le RMI. Il est dans cette situation depuis plusieurs années. Il a mis en échec toutes les tentatives de réinsertion sociale. La situation est telle qu’il est envisagé la suppression de cette aide. Le travail sur les sentiments de honte, de dévalorisation qu’il ressent va permettre de commencer à construire un projet avec lui.

Ce que nous prenons pour une bonne nouvelle peut être ressenti comme une mauvaise :

Avec une collègue nous avions initié un groupe de thérapie dans une institution de filles. Préalablement, à l’entrée dans le groupe, nous avions un entretien individuel avec chacune des filles. Nous étions confrontés à un enthousiasme tout relatif de celles-ci. Nous avons abordé cette difficulté avec S. Hirsch avec qui nous étions en supervision. Il a mis l’accent sur notre façon de conduire cet entretien et en particulier que nous annoncions cette proposition comme une bonne nouvelle alors qu’il provoquait chez l’adolescente un questionnement : pourquoi moi ? Ils me pensent folle ?... En fait, pour elle, il s’agissait d’une mauvaise nouvelle !

Ce qui peut être considéré comme une bonne nouvelle par celui qui l’annonce, comme dans l’exemple ci-dessus, peut être une mauvaise nouvelle pour celui qui la reçoit. Par exemple : proposer à une personne un groupe de thérapie, de rencontrer un psy, l’arrivée d’une nouvelle personne dans un groupe, un changement de poste de travail … De même, une partie de l’annonce faite peut être constitutive d’une mauvaise nouvelle « vous allez pouvoir rencontrer votre enfant, vous le verrez dans un point rencontre ».

Dans ces situations, comme celles de la demande « spontanée » ou de la venue sur recommandation, il est utile d’explorer les sentiments que cette situation provoque chez la personne, ici les phases un et deux sont concomitantes. Il est souvent nécessaire de légitimer le droit à ces sentiments pour que la personne puisse les exprimer. « C’est toujours difficile de faire une telle demande ». « Vous n’aviez jamais pensé arriver ici ». « Dans la même situation je serais gêné moi aussi ». « Vous vous demandez à quoi va servir ce que je vous propose ». « Vous pensez qu’il y a un piège ? »…

  1. L’INTEGRATION DE LA MAUVAISE NOUVELLE

Celui qui reçoit la mauvaise nouvelle l’appréhende rarement dans sa globalité. Cette mauvaise nouvelle peut activer chez lui des angoisses, des inquiétudes sur les répercussions qu’elle peut avoir au niveau de son environnement familial, professionnel ou social. Cet aspect est à travailler en l’explorant avec lui, en légitimant ses craintes ou ses peurs. Les items de ce travail sont du type « c’est difficile pour vous ?…Vous pensez que ce n’est pas mérité ?… Vous avez le sentiment d’une injustice ?… Vous vous demandez comment vous allez l’annoncer à ?… Que pensez-vous qu’il/elle va en penser ?… Quelles réactions vous pensez qu’il/elle aura ?… Si vous étiez à sa place comment réagiriez-vous ? etc.… »

Cette phase d’intégration se fait par un entretien sur le modèle « non directif centré » (c'est-à-dire, par l’utilisation des phrases et des mots employés par la personne, en les ponctuant en fonction de votre objectif précis), en explorant toutes les conséquences de cette mauvaise nouvelle, en prenant en compte toutes les peurs, toutes les craintes même si elles nous paraissent injustifiées. Il est pour l’instant trop tôt pour donner des conseils.

Si cette partie du travail est occultée ou sous-estimée le travail d’intégration sera impossible.

3. LA PHASE DE CONSEIL ET DE DECISION

Ce n’est qu’une fois la mauvaise nouvelle intégrée que l’on peut passer à cette dernière phase qui a pour but de voir comment la personne va faire face à cette nouvelle situation. Les items de travail sont du type « comment allez-vous vous organiser ?… Quels changements pensez-vous que cette situation va vous imposer ?… Comment pensez-vous y faire face ?…etc. »

Dans cette phase on peut commencer à co-construire avec la personne la recherche de nouvelles façons de faire, de changements.

Il est important de ne négliger aucune phase de cet entretien qui peut se dérouler en une ou plusieurs séances : de cela dépend l’efficacité de cette technique.

JP PIQUEMAL